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22 avril 2012 7 22 /04 /avril /2012 14:33

ça y est ! les résultats sont tombés, la nouvelle " Puzzle" que vous trouverez sur ce même blog a reçu le premier prix du concours de nouvelles du haut Var ( à Bargemon ). Le sujet était : " un train entre en gare des Arcs " en dix pages maximum... Ceux qui ne l'ont pas lue peuvent maintenant corriger cette erreur fatale...

 Et, bon sang de bonsoir, je cherche toujours un éditeur digne de ce nom pour mon deuxième roman, " le chant du reptile " depuis que Guy Trédaniel m'a lâché sans explication après avoir été dithyrambique ..................... Il y a des vérités qu'il ne faut pas dire ! 

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26 novembre 2011 6 26 /11 /novembre /2011 19:58

                                                         Gare des Arcs

 

 

 

 

 

 

 

     17h15, dix minutes de retard ! Un train entra en gare des Arcs. Finalement, dix minutes, c’était honnête ! Le convoi venant de Marseille était en général sujet à des écarts beaucoup plus conséquents  pour des raisons toujours aussi mystérieuses, mais plus personne n’y prêtait attention. C’était la routine ! En cette fin de novembre, le soleil était déjà très bas et un petit mistral s’engouffrait sous le pont marquant l’entrée du village ‘les Arcs sur Argens’. Il glissait le long des rails et venait se faufiler subrepticement sous les vêtements des rares personnes qui avaient eu le courage d’attendre sur le quai, la plupart d’entre elles serrant le col de leur manteau dans un vain effort de retenir un peu de chaleur. Le grincement des freins du train sonna enfin un espoir de pouvoir rentrer rapidement bien au chaud. Comme chaque soir de semaine, le train était bondé et dès l’ouverture des portes, les passagers pressés sautèrent sur le quai. Quelques baisers furtifs pour certains, des embrassades pour d’autres, mais la plupart des voyageurs filèrent, impatients de retrouver leur foyer.

     Le quai se vida aussi vite qu’il s’était rempli… Un coup de sifflet qui semblait anonyme résonna entre les murs de la gare, et comme par enchantement, semblant poussé par le vent, le train s’éloigna en direction de Nice.

     La nuit tombait maintenant doucement sur la gare et les quais vides. Les ombres s’allongeaient, quelques rares feuilles flottaient sur le bitume et entre les traverses des rails, hésitantes et sautillantes, jouets des glaciales risées.

     Le chef de gare avait déjà rangé son sifflet et ventre en poupe, activait le pas pour rejoindre son bureau surchauffé.

     Et c’est là qu’il le vit… Au bout du quai, une silhouette efflanquée dans un long manteau et couvert d’un drôle de chapeau, un homme sans aucun doute…

      Il ne saura jamais pour quelle raison celui-ci attira son attention, peut-être parce qu’il paraissait absent ou simplement un détail avait-il accroché son regard, quelque chose  d’indéfinissable. En tout cas, il se ravisa et remit à plus tard son besoin de chaleur. 

     Plus il se rapprochait de l’homme et plus il était convaincu que celui-ci avait l’air perdu ou  mal en point.

     -   Merde ! Encore un de ces putains d’alcolos, il va me pourrir la soirée !  Pensa-t-il par habitude.

     Mais lorsqu’il fut près de l’individu et malgré la pénombre, il réalisa que celui-ci n’était pas ivre.  Une cinquantaine d’années… maigre… une barbe naissante de trois jours pointillée de blanc. Son manteau semblait venir directement des années trente, usé mais de bonne coupe, ainsi que le  drôle de chapeau sur son crâne, un peu de travers,  posé là comme par hasard. Il aurait juste fallu que le train soit à vapeur et tout serait rentré dans l’ordre.

     -   Puis-je vous aider Monsieur ? demanda le chef de gare avec une empathie qu’il ne se connaissait pas.

     L’homme se tourna vers son interlocuteur. Il avait des yeux bleus délavés et le regard évanescent comme un marin au long court qui cherche sa place sur la terre ferme après plusieurs mois passé en mer.

     -   Je ne sais pas ! Peut-être ! répondit-il d’une voix rauque.

     -   Ah !

     -   Pouvez-vous me dire où nous sommes exactement ? demanda-t-il le regard trouble.

     -  Aux Arcs ! Les Arcs sur Argens, dans le Var, répondit l’agent SNCF avec une pointe d’étonnement.

     -   Aux Arcs ! répéta l’homme dans un soupir. Mais, qu’est-ce que je fous ici ?

     -   Vous vous êtes probablement trompé de gare !

     L’homme regarda le chef de gare d’un regard perdu.

     -   Je ne sais pas !

     -   Vous ne savez pas où vous allez ? Et d’où vous venez ?

     -   Non ! répondit-il dans un souffle.

     -   Et vous avez un nom ?

     -   Attendez, je crois que oui !

     L’homme sortit de sa poche un vieux carton sur lequel était gribouillé un nom.

     -   Serge Antonin… Je pense !

     Interloqué par cette étrange réponse et le comportement de cet homme, le chef de gare insista.

     -   Bon, vous n’avez pas l’air très sûr de vous !

     L’agent de la SNCF repoussa légèrement sa casquette en arrière, se gratta le front d’un air dubitatif et en désaccord avec toutes les règles élémentaires dues à sa position, il reprit :

     -   Voulez-vous me suivre ? On sera plus au chaud dans mon bureau pour essayer de tirer tout cela au clair.

     Manifestement déboussolé, l’homme le regarda d’un air étonné.

     -   J’ai si froid !

     -   Allez mon gars, j’ai du café chaud là-bas, ça vous fera du bien !

 

     Le contraste entre l’extérieur et l’intérieur était saisissant. Le bureau paraissait surchauffé en comparaison avec ce mistralou glacial qui courrait sur les quais.

     -   Ferme vite ! grommela Yann, sans lever la tête de son ordinateur, il fait un froid de gueux !

     Petit et légèrement enrobé, à l’esprit vif et au regard pétillant, Yann Basten était le collègue et ami de Marc Sprint, le chef de gare. Celui-ci sourit de cette expression qui faisait partie du vocabulaire un peu désuet de son érudit collègue.

     -   On a de la visite ! dit-il en retirant sa veste. Je te présente Monsieur Serge Antonin qui a perdu son chemin…

     Yann haussa un sourcil broussailleux sous ses petites lunettes rondes et daigna se retourner.

     -   Qu’est-ce qui vous arrive ? dit-il  en regardant avec étonnement l’accoutrement de leur hôte improvisé.

     L’homme haussa les épaules en écartant les mains en signe d’incompréhension et Marc se porta à son secours.

     -   Manifestement, ce monsieur ne sait pas vraiment qui il est, ni d’où il vient, ni où il va !

     -  Ben merde ! fut la seule réponse du sympathique Yann qui regarda l’homme sous un autre angle.

     Celui-ci s’assit lourdement sur un tabouret traînant dans la pièce, posa ses coudes sur ses genoux et son menton sur la paume de ses mains dans la position du « Penseur » de Rodin. Il semblait totalement abattu, deux larmes perlèrent au coin de ses yeux et glissèrent lentement le long de ses joues creuses pour se perdre dans les poils de sa barbe naissante.

     Les deux collègues furent instantanément envahis par une vague d’empathie pour cet inconnu semblant arrivé de nulle part. Ce fut Marc qui réagit le premier, il lui tendit un mouchoir en papier qu’il avait arraché d’une boite qui trainait sur son bureau. Une étrange ambiance planait maintenant dans la petite salle, un mélange de mystère et de tristesse. Pour masquer son trouble, Yann posa gentiment une main sur l’épaule de l’homme effondré et rompit le silence.

     -   Allez mon gars ! On va bien trouver une solution.

     Après avoir rempli une tasse de café, Marc se leva pour la donner à Antonin, Et au moment où il s’apprêtait à la lui tendre, son regard se dirigea vers la fenêtre. Il figea alors son geste…

 

                                                                            *

 

 

      Sur la route de Sauveclare, Laurence Raoult, une jolie femme de 41 ans, cheveux châtains coupés très courts, aux yeux noisette, scrutait la petite route sinueuse, concentrée et prête à freiner brutalement si un autre véhicule arrivait en face. Infirmière à Lorgues, elle préférait rouler dans la nuit sur ces chemins qui  n’autorisaient le passage que d’une seule voiture car les phares  permettaient de repérer à l’avance un danger potentiel. Encore une centaine de mètres et elle s’engagea sur un chemin de terre escarpé pour rejoindre la maison perdue de sa vieille patiente. C’était une des premières personnes qui lui avait fait confiance à son arrivée dans ce village du centre Var, il y a maintenant 15 ans, et une grande amitié s’était installée entre elle et Maminou comme elle l’avait surnommée. Elle se gara devant la porte et Bob, le vieux chien, daigna se lever de son poste de garde pour venir l’accueillir en remuant frénétiquement de la queue.  

     -   C’est moi ! cria Laurence en entrant dans la maison, sa sacoche à la main.  

 

 

                                                                         *

 

    

     -   Ben, qu’est-ce qu’il te prend de bayer aux corneilles comme ça ? Demanda Yann qui n’avait rien manqué de l’étrange comportement de son ami.

     Marc s’était maintenant rapproché de la fenêtre, mais au grand étonnement de son collègue, c’était du mur qu’il se rapprochait et plus précisément d’une vieille affiche  punaisée là depuis plusieurs semaines. Une affiche sur laquelle il y avait la photo de plusieurs personnes recherchées. Mine de rien, Marc se retourna vers Yann, tendit la tasse de café au soi-disant Antonin qui n’avait rien vu de son manège et attira l’attention de son collègue vers le mur. Il s’en rapprocha, il y avait six photos, mais c’est celle qui était en bas à droite qui attira son attention. Hormis la barbe naissante, c’était le portrait craché de l’homme qui était assis auprès d’eux. Une note écrite en petits caractères déclarait qu’il s’agissait d’un homme  échappé voilà plusieurs semaines d’un centre psychiatrique… Elle stipulait aussi qu’il ne présentait aucun danger mais qu’il avait totalement perdu la mémoire, son état civil était inconnu et toute personne le reconnaissant devait impérativement appeler la gendarmerie. Les deux hommes se regardèrent déconcertés ne sachant plus quelle attitude adopter. Finalement, ce fut le chef de gare qui se tourna vers l’homme et lui demanda de regarder la photo.

     -   C’est vous n’est-ce pas ? lui demanda-t-il avec douceur.

     -   Bien sùr ! Ma photo est affichée partout… J’ai complètement perdu la mémoire de mon passé, mais je ne suis pas idiot !

     -   Et si j’ai bien compris, vous n’avez aucune envie de rentrer au centre !

     L’homme les regarda avec désespoir.

     -  Vous savez, je vis un enfer depuis de nombreuses années et je suis devenu complètement dépendant de leurs saloperies de médicaments qui m’assomment littéralement. J’ai fui ce monde de rêve dans l’espoir de retrouver quelques brides de mémoire et de mon passé. Si je retourne là-bas, je mettrai fin à mes jours. Je préfère encore vivre dans la rue de la générosité des gens que de continuer une vie sans espoir, sans passé et sans avenir…

     -   Mais qu’espérez-vous de cette nouvelle vie que vous menez ? demanda Marc qui ne savait plus que faire. Il était déchiré entre son devoir qui lui dictait d’appeler immédiatement la gendarmerie avec une affreuse sensation de dénoncer un homme en perdition et prendre la responsabilité de l’aider. Mais comment l’aider ? Que faire pour lui ? Il regarda son ami qui paraissait aussi désemparé que lui. Celui-ci croisa son regard et ils se regardèrent un moment avant de se tourner vers l’inconnu qui avait baissé la tête, le dos courbé sous le poids de l’angoisse terrible qui l’étreignait. Celui-ci répondit de sa voix si particulière en parlant doucement.

     -   Je n’en sais trop rien ! Vraiment rien, je n’ai aucun souvenir, mais la seule chose dont je sois sûr, c’est que si je retourne là-bas, avec leurs putains de médocs, je n’ai absolument aucune chance de m’en sortir un jour.

     -   Et alors ? insista Yann.

     -  Alors j’ai le bête espoir que quelque chose me revienne. Un détail, je ne sais pas, n’importe quoi qui me permette de retrouver quelques bribes de mon passé.

     -   Et pourquoi Les Arcs ?

     -  Je ne sais pas ! Vraiment pas ! Une intuition, quelque chose m’a fait descendre ici.  Mais c’est peut-être n’importe quoi, comme d’habitude.

     Yann commençait à montrer de l’impatience, il se demandait encore pourquoi son collègue avait eu cette idée saugrenue de ramener cet homme dans leur bureau et de créer cette situation ubuesque et quelque peu culpabilisante.

     -   Bon, et maintenant qu’allez-vous faire ? Vous avez une petite idée d’où vous allez passer la nuit ? 

     -   Aucune ! Répondit l’homme.

     -   Bon, bon ! Attendez là, lui conseilla Marc. On va vous quitter quelques minutes, le train de 18 h va entrer en gare, faut qu’on y aille.

 

 

                                                                         *

 

 

     Précédée de Bob, Laurence se dirigea directement vers la grande salle  de séjour. Maminou était assise dans un vieux fauteuil de style Empire au tissu usé par les années. Marie De Guénac, alias Maminou était une vieille aristocrate qui vivait dans un bric-à-brac invraisemblable. Probablement pour elle, un moyen de s’accrocher à son passé, veuve depuis une vingtaine d’années, sans enfant, elle passait son temps à lire et à regarder toutes les émissions culturelles que proposaient les chaines satellite. D’une grande érudition, elle appréciait particulièrement Laurence qui avait une classe naturelle, une grande vivacité d’esprit et un professionnalisme sans faille, ce qui avait concouru à créer entre elles une amitié qui durait depuis très longtemps. Elle vieillissait tranquillement, regardant son corps se détériorer doucement et ses rides s’approfondir. Elle n’avait aucune peur concernant la mort, persuadée que nous n’étions que de passage sur ce monde  et que l’esprit survivait à la disparition de l’enveloppe physique.

     Laurence entra comme à son habitude en fanfare, apportant un peu de vie dans cette grande bâtisse typiquement provençale.

     -   Coucou Maminou, dit-elle en embrassant la vieille dame comme du bon pain. Comment c’est passé la journée ?

    Marie haussa les épaules en lui montrant le dernier roman de Houellebecq « La carte et le territoire ».

     -   Je n’arrive pas à comprendre comment un auteur pareil peut obtenir le Goncourt ! Tu sais Laurence, je suis persuadée qu’avec le snobisme actuel et la mode bobo, des génies comme Pagnol, Genevois ou même Hugo ne seraient pas publiés aujourd’hui ! ça serait amusant de proposer aux éditeurs un de leurs textes sous un pseudo… Ouais, très drôle ! Dit-elle en soupirant. Le monde change tellement ! Il n’y a plus que le paraître…

     -   Et oui, on est malheureusement tous responsables de ça ! répondit Laurence, habituée aux digressions de sa patiente en préparant l’injection d’insuline.

     Pendant qu’elle injectait le produit salvateur, Laurence regarda le visage de sa patiente et amie sans pouvoir une fois de plus expliquer ce qui la troublait dans l’expression générale qu’elle dégageait.

     -   Pourquoi tu me regardes comme ça ? demanda Marie.

     -   Mais non, mentit Laurence, pour rien…

    

 

                                                                         *

 

 

     Les deux agents SNCF étaient maintenant sur le quai et avec la nuit, le mistral s’était renforcé augmentant la sensation de froid. Les deux hommes frissonnèrent.

     -   Faut appeler les flics, commença Yann, on ne peut pas prendre la responsabilité de cet homme, on a déjà largement dépassé les prérogatives qui nous sont accordées.

     -    Bien sûr, bien sûr, pensa tout haut Marc. Bien sûr, tu as évidemment raison. Mais quand même, tu te rends compte, cet homme est incroyable, il a perdu la mémoire depuis la nuit des temps, mais il a parfaitement conscience de son état et il cherche désespérément un signe, un détail qui lui permettra de déchirer le voile. Tu as entendu comme il s’exprime ? Ce n’était certainement ni un imbécile ni un inculte, le renvoyer là-bas, c’est le tuer ! Zut, ce n’est pas rien comme décision à prendre. Tu pourras te regarder dans la glace ce soir en l’imaginant dans le fourgon de la gendarmerie ?

     -   Arrête de me culpabiliser ! Merde à la fin ! Et alors, quelles sont tes intentions ?

     Le débonnaire Marc haussa les épaules.

     -   Je ne te demande rien ! J’ai déjà pris ma décision…

     -   Et alors ?

     -   Je vais l’héberger quelques jours !

     -   Tu es complètement fou, s’insurgea son ami. Qu’est-ce que tu espères ?

     -   Je veux juste lui donner une chance, aussi infime soit-elle.

     -   Libre à toi, mais je ne te couvre pas là-dessus ! maugréa Yann.

     -   Tu n’as pas à me couvrir, s’énerva un peu son ami, juste à te taire, je ne t’en demande pas plus.

     -   Fais comme tu veux, je m’en lave les mains, répondit Yann en s’éloignant vers l’autre bout du quai.

     Marc regarda son ami aller à la rencontre du train qui entrait en gare et tourna les talons pour rejoindre sa place, l’esprit plein de la décision importante qu’il venait de prendre et pour laquelle il était en accord total. « Carpe diem », de toute façon j’ai plein de place dans ma maison vide, pensa-t-il dans un grand soupir. Je termine ma garde et je file avec lui.

     De retour dans son bureau, il retrouva l’homme figé exactement dans la même position. Il redressa la tête en sentant le froid entrer et fixa Marc d’un regard profond comme s’il avait compris qu’un petit coup de pouce du destin frappait enfin à la porte de sa misérable existence. Le chef de gare posa sa casquette et sa veste au portemanteau, s’éclaircit un peu la voix et s’adressa au pseudo ‘Serge’.

     -   Ecoutez Serge, pour l’instant, on va garder ce nom ! Accepteriez-vous mon hospitalité ? Je vis seul depuis la mort de ma femme dans une grande bicoque sinistre qui manque de vie. Cela vous permettrait de souffler un peu, quelques jours, et qui sait… Peut-être la mémoire vous reviendra-t-elle dans un environnement détendu, sans pression et… Sans médicaments…

Qu’en pensez-vous ?

     ‘Serge’ scruta le visage de Marc avec un regard étonné et plein d’espoir.

     -   Vous m’hébergeriez, comme ça, sans me connaître ?

     -   Mais, je vous connais, dit en souriant Marc  en tendant l’index vers l’affiche. Je vous connais même très bien, puisqu’il n’y a rien à savoir ! Allez, acceptez… insista-t-il en fixant l’homme.

     -   Je ne sais pas quoi dire !

     -  Alors ne dites rien et suivez moi, je serais très heureux d’avoir de la compagnie, je commençais à devenir un vieux sanglier ronchon, c’est vous qui me rendez service. Vraiment !

     Pendant qu’il parlait, le chef de gare avait enfilé une parka beige et incita l’homme à se lever pour le suivre. Celui-ci ne se fit pas prier, il se redressa et sans dire un mot, ils sortirent dans le vent.

     Marc le précéda jusqu’à sa voiture, une vieille Range-rover, fidèle compagne de ses nombreuses ballades dans les collines à la recherche des champignons dont il était fin connaisseur, et qu’il n’aurait vendue pour rien au monde. Entretenue et bichonnée comme une vieille maîtresse, elle démarra au quart de tour et chauffage à fond, Marc s’engagea vers Taradeau où se situait sa maison. Il leur fallut à peine dix minutes pour arriver à bon port. La vieille maison de Marc était comme posée sur des restanques et entièrement entourée d’oliviers.

     -   Allez mon gars, nous y voilà, vous verrez, y’a que l’embarras du choix pour les chambres et on va se préparer une bonne soupe.

     ‘Serge’ était resté muet pendant toute la route. Il y avait si longtemps qu’il n’avait pas rencontré tant de compassion. En général, les gens avaient peur de lui et le fuyaient et voilà que tout d’un coup, un homme, encore inconnu il y avait une heure, lui faisait confiance et lui ouvrait sa maison, c’était inespéré. Il lui semblait qu’il n’avait pas dormi dans un lit chaud depuis une éternité.

     -   Excusez mon silence, mais vous êtes si… gentil et si confiant !

     -   Bof ! Je vous dis que c’est pour moi que je fais ça, un peu de présence ne me fera pas de mal, et puis vous allez vous requinquer. Regardez comme vous êtes maigre, allez, aidez-moi, lui dit-il en lui tendant des bûches, on va commencer par se faire une bonne flambée pour égailler la maison et votre cœur.

 

     La soirée avançant, l’homme au long manteau commença à se détendre, la chaleur et le repas avaient eu raison de ses dernières craintes. Marc lui avait proposé une chambre spacieuse et ils avaient fait ensemble le lit, et puis, malgré les récriminations de ‘Serge’, il l’avait amené devant une armoire pleine de vêtements d’homme qu’il ne pouvait absolument plus mettre depuis qu’il s’était laissé aller à un embonpoint plus que conséquent. Finalement, l’homme, devant la joie évidente de son sauveur, trouva tout ce dont il avait besoin et posa religieusement ces habits au pied du lit. Une bonne demi-heure après, lavé, rasé, habillé de propre, il redescendit dans la salle de séjour pour s’asseoir près du feu. Marc le regarda gravement.

     -  Et bien mon ami, voilà une sacrée transformation où je n’y connais rien, vous êtes métamorphosé.

     -   Comment vous remercier ! répondit ‘Serge’.

     -   Quel remerciement ? Regardez, je vis comme un vieux con, je me tue à vous répéter que c’est vous qui me rendez service.

     ‘Serge’ tourna la tête vers le fond de la salle, son regard fut instinctivement attiré …

     -   Ah, le piano ! soupira Marc. Ma femme en jouait. Merveilleusement.

 

 

                                                                         *

 

 

     Laurence avait maintenant rangé son matériel dans sa sacoche, et comme d’habitude, elle devisait gaiement avec Madame De Guénac. Elle adorait ce petit moment qui marquait la fin de sa journée et tout en parlant, elle furetait dans l’incroyable richesse d’objets, de livres et de bibelots qui entouraient sa patiente. Celle-ci avait une histoire pour chacun d’eux, et elle aimait la raconter, surtout à Laurence qui était une oreille si attentive. Parfois, l’infirmière en soulevait un, et le regard de Maminou changeait, ses yeux partaient dans le vague et d’un revers de la main, elle invitait Laurence à le reposer sans dire un mot. Celle-ci respectait son silence, mais ne désespérait pas un jour de découvrir un secret qu’elle devinait…

 

 

                                                                         *

 

 

     ‘Serge’ s’était levé de son fauteuil et s’approcha du magnifique piano en demi-queue qui trônait au fond de la pièce. Cet objet paraissait si peu à sa place dans cette maison, mais il fascinait ‘Serge’. Devant Marc médusé, il s’assit sur le tabouret à vis qu’il régla comme par réflexe et ouvrit le couvercle du clavier. Il leva les mains et les laissa en suspens au-dessus des touches. Il tourna la tête vers son nouvel ami qui hocha la tête en signe d’acquiescement. Seul le crépitement du feu troublait le lourd silence qui s’était installé. Les doigts de ‘Serge’ tremblaient, il resta figé dans cette position un long moment et il ferma les yeux dans une forme de recueillement. Marc regardait cette étrange scène en retenant son souffle…

 

 

                                                                          *

 

 

    La voiture filait maintenant bon train, Laurence avait  hâte de rentrer chez elle, la journée d’une infirmière étant toujours dure et longue. Elle aimait ce moment de calme, ce sas entre le travail et la maison qui lui permettait de décompresser et de relâcher la pression et la fatigue qui s’accumulaient sur ses épaules au fil des heures, des actes médicaux et toilettes de tous genres. Elle écoutait avec plaisir le dernier CD de Nolwenn Leroy, cette musique celtique  était vraiment entraînante et la détendait progressivement. Sans s’en apercevoir, elle arriva chez elle. Elle descendit de sa voiture en chantonnant mais s’arrêta net, tendant l’oreille ! Quelqu’un jouait du piano chez son oncle qui vivait dans la maison contigüe. Elle avait l’impression de revenir plusieurs années en arrière quand sa chère tante jouait.

 

 

                                                                          *

 

 

     Les mains de ‘Serge’ s’étaient enfin posées sur le clavier, d’abord hésitantes et tremblantes. Les doigts commencèrent à égrener les notes. Des gouttes de transpiration apparurent sur le front du pianiste sous l’effet d’une intense concentration et comme par magie, les mains commencèrent à voler et virevolter sur les  touches. ‘Serge’ semblait ailleurs et Marc reconnut le début d’une valse de Chopin…

 

                                                                         *

 

 

 

     Sous le charme et l’effet de la curiosité, Laurence se dirigea sans hésiter vers la porte d’entrée de son oncle et comme à son habitude, entra doucement sans frapper. Marc tourna la tête et aperçut sa nièce, il porta son index à sa bouche pour lui intimer le silence. Celle-ci hocha du chef en signe d’acquiescement et vint s’asseoir près du feu ouvrant grand les yeux en direction de Marc de manière interrogative. ‘Serge’ était littéralement en transe, le concert improvisé dura plus d’une heure, la plupart des grands classiques y passèrent : Beethoven, Mozart, Chopin, Schubert et le difficile Liszt… Un florilège des plus beaux morceaux connus. Puis, dans un silence assourdissant, les murs de la maison encore emplis de notes, ‘Serge’ s’effondra sur le clavier en sanglotant, le visage couvert de larmes.

     Bouleversés par la musique merveilleuse qu’ils venaient d’entendre et l’émotion intense qui avait envahi le musicien, l’oncle et sa nièce ne savaient pas qu’elle contenance adopter. Laurence allait d’interrogation en interrogation, elle comprenait bien qu’il s’était passé quelque chose d’incroyable, mais quoi ? Elle était à cent lieux d’imaginer la vérité. Elle regardait Marc en signe d’incompréhension mais elle n’eut pas le temps de poser la moindre question car ‘Serge’ s’était lentement levé. Il tourna la tête s’étonna de voir une femme assise dans le fauteuil qu’il occupait auparavant. Il s’approcha du feu, tira une chaise pour s’asseoir, le visage grave.

     -   Pardonnez-moi cette réaction infantile ! dit-il de sa voix si caractéristique. Désolé !

     -  Vous rigolez ou quoi ? s’insurgea Marc, c’était extraordinaire… Vous vous connaissiez ces talents de pianiste ?

     -   Pas du tout, dit-il en regardant la femme assise à côté.

     Marc qui avait surpris son regard présenta l’infirmière.

     -   Laurence, ma nièce. Elle habite dans la maison jumelle. Je peux lui raconter ?

     ‘Serge’ acquiesça de la tête et Marc expliqua en quelques mots et sans rien omettre la raison de la présence de son hôte. Laurence écouta religieusement, à peine étonnée par l’action de son oncle qui ne ratait jamais une occasion d’aider son prochain.

     -   He bé ! Que d’émotion, réagit-elle les larmes aux yeux. Cet incroyable concert improvisé a écorché notre cœur à des endroits que nous ne connaissions pas. Allez, faut réagir… Vous avez mangé tous les deux ? Tu lui as préparé une chambre ?

     -   Calme-toi ma Lolo, on a mangé, sa chambre est prête, tout va bien !

     ‘Serge’ encore sous le choc de la découverte de son talent de musicien, regardait avec amusement ce couple hétéroclite.

     -   Et bien, cher Monsieur, il y a certainement une chose que mon cher oncle a oubliée.

     -   Et quoi ? ‘Madame je sais tout’, s’amusa Marc.

     -  La lessive. ‘Monsieur mon oncle’ ! Je peux récupérer vos affaires que je puisse les laver ? dit-elle en interrogeant ‘Serge’ du regard.

     -   Bien sûr répondit celui-ci  en se levant pour récupérer son linge.

     Laurence s’en empara pour le plier sommairement et un petit objet tomba sur le sol, elle se baissa pour le ramasser. Intriguée, elle le regarda de plus près…

     -   Ne cherchez pas, c’est une relique de mon passé, dit ‘Serge’. La seule chose qui m’y relie. Je la garde dans ma poche depuis des années en espérant je ne sais quoi !

     -   Mais, on dirait une pièce de puzzle ?

     -   Exactement, une pièce de puzzle tellement usée qu’on n’y distingue plus rien, seule sa forme est intacte, dit-il en tendant la main pour récupérer l’objet.

     Mais Laurence était en arrêt devant ce petit morceau de carton, elle était livide…

 

 

                                                                         *

 

 

     Comme à son habitude, Madame de Guénac lisait, bien calée dans son lit lorsque le téléphone sonna.

     -   Allo ?

     -   Maminou ? C’est Laurence

     -   Et bien, ma petite Laurence, qu’est-ce qu’il t’arrive s’inquiéta la vieille dame en posant son livre sur ses genoux.

     -   Maminou reprit Laurence d’une voix altérée, il faut que je sache !

     -   Mais quoi ? A cette heure-là ?

     -   Oui, tout de suite !

     -   Tu m’inquiètes. Qu’y a-t-il ?

     -   Dites-moi, pourquoi n’avez-vous jamais voulu ranger ce grand puzzle qui trône sur la table du fond de votre séjour ?

     Un grand silence s’installa, Laurence entendit la respiration de la vieille dame s’accélérer.

     -   Pourquoi ? Pourquoi  veux-tu savoir ça maintenant ? dit-elle de manière saccadée comme si elle retenait son souffle.

     -   Il y manque bien une pièce ?

     -  Absolument ! Depuis toujours… Mais pourquoi ma Laurence, s’il te plait, s’il te plait, suplia-t-elle dans un sanglot.

     -   Je crois bien qu’elle est là, entre mes mains.

 

 

 

 

 

 

                                                                        FIN  

 

 

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